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Gang de Cochons - Chapitre I

L'espoir mince, s'amenuisait à mesure que les jours raccourcissaient et que les flocons s'amoncelaient, impitoyables, couche après couche, avec la patience et le sadisme de millions de bourreaux miniatures et étoilés, passés maîtres dans l'art de la torture mentale. Bien que l'hiver arctique n'eût pas encore tout à fait enserré l'Outaouais dans sa poigne glacée, l'étouffement serait bientôt inéluctable, l'air froid à vous brûler la gorge, quasiment irrespirable. Déjà, la vaste majorité des pistes avait disparu sous un fin manteau blanc et avant la fin du mois, les cyclistes les plus acharnés renonceraient. Comme à son habitude, l'homme serait parmi les derniers à remiser sa monture, parmi les derniers à abdiquer. Mais pour le moment il pédalait encore, les larmes aux yeux et le visage cramoisi, battu par le vent polaire qui planait sur la rivière et s'engouffrait derrière le musée des civilisations, face aux flèches escarpées du parlement canadien. Il s'arrêta sans crier gare et commença à se tâter le torse avec frénésie, tâchant d'extirper de son trench-coat son fidèle cellulaire tout en se gardant bien de trop exposer sa gorge aux armées de germes qui avaient colonisé l'atmosphère.


- Allo? Poirot? Oui, c'est bien moi, l'inspecteur Tessier. Pardonnez-moi, j'ai la voix un peu enrouée.


À l'autre bout du fil, là légiste sembla hésiter.


- Hum, je vous appelle car j'ai sur ma table d'autopsie un cas qui risque de vous intéresser.
- Comment le savez-vous?
- C'est un cas étrange, une affaire biscornue comme vous les aimez.
- Détrompez-vous ma chère! Je ne les aime pas. Ce sont elles qui m'aiment et me tombent dessus comme la vérole sur le bas clergé. Moi, je les ramasse car personne d'autre n'en veut. Si je ne le faisais pas, elles resteraient là à traîner sans qu'on y prête attention. C'est triste, non?
- Lamentable, jugea La Docteure Poirot. Bon, cette affaire, vous la voulez, oui ou non.
- Ça dépend.
- De quoi?
- De sa désespérance, de son obscurité, de son insolubilité.
- Cause perdue, en demi-pénombre, miscible dans le sang et probablement dans l'alcool, commenta l'experte.
- Ah oui! Quand même! C’est bon alors, je prends.
- Parfait! Rejoignez-moi dès que possible!
- Où ça?
- À votre avis?


L'inspecteur Tessier cabra sa bicyclette et fit demi-tour. La tête engoncée entre les épaules, comme s'il eût été une tortue, il emprunta les boulevards changeants de Gatineau, Maisonneuve qui devenait Fournier, Fournier qui devenait Gréber puis tourna à droite sur La Verendrye pour rejoindre l'Hôpital. La bâtisse de briques rouges défraîchies avait connue de meilleures heures. Au delà de sa réputation discutable, l'hôpital de Gatineau renvoyait une impression sinistre, une froideur aseptique que la température extérieure et largement négative rendait encore plus oppressante. L'inspecteur n'eut pas besoin de guide: il connaissait le chemin de la morgue pour l'avoir suivi plus de fois qu'il ne l'aurait souhaité. Il laissa donc ses pas le mener à travers les couloirs blancs dont l'urine et la javel se disputaient le territoire olfactif. Arrivé devant  la salle d'autopsie, fief attitré de Marie-Michèle Poirot, il s'arrêta un instant pour reprendre son souffle puis fit son entrée dans ce que certains de ses collègues surnommaient l'antre de la mort. De part et d'autre de la pièce, les murs étaient constellés de portes en acier inoxydable, scellant autant de sépultures temporaires où reposait un genre bien particulier de viande froide. Face à cet impressionnant potentiel de réfrigération, Marc-André se dit qu'il ne cracherait pas sur une bonne bière bien fraîche avant que ses pensées brasseuses ne soient interrompues par l'entrée théâtrale de la maîtresse des lieux...

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