Prospect Park,
Brooklyn, une heure du matin. Sous la lueur ténue des lampadaires, alignés tels
une colonne de sentinelles bienveillantes, une bicyclette passait sans
peine, semblant flotter sur l’asphalte étincelante d’une fine couche de
rosée. L’homme juché sur la selle aurait du nous paraître familier comme si nous
l’avions déjà rencontré et suivi au fil d’aventures palpitantes qui auraient à
jamais marqué nos esprits. Comme si, avec lui, nous avions tutoyé la mort,
valsé avec la démence, sondé la noirceur de l’âme humaine. Et comme si
après l’avoir perdu de vue pendant un moment c’était dans ce décor inattendu
que nous le retrouvions, loin de la folie meurtrière qui rythmait son
quotidien, loin de sa Gatineau natale, de ses belles collines et de ses criminels
de tous poils. Fidèle à sa légende, Marc-André Tessier arborait un air résolument
comique, vêtu d’un maillot aux couleurs du Nordique de Québec, pédalant avec
ardeur dans la nuit new-yorkaise, les écouteurs reliés à son Blackberry
savamment enfoncés dans ses oreilles. Tandis qu’il fonçait sur West Drive en
direction du sud, on pouvait l’entendre fredonner le refrain de la célèbre
chanson « Après l’école » de Marc Drouin, en un hymne farfelu à
ses vacances bien méritées. Sourd à son environnement, l’inspecteur n’entendit
pas les sirènes si caractéristiques des autos-patrouilles du NYPD se rapprocher
par l’arrière et ce n’est que lorsqu’il aperçut leurs éclairs bleus et rouges
qu’il réalisa que quelque chose est en train de se passer. Il freina avec précaution,
posa le pied à terre et regarda les voitures le dépasser en trombe avant de
s’engager sur le petit chemin menant à la Villa Litchfield où elles s’arrêtèrent
dans un crissement de pneus synonyme d’urgence.
« Oh boy ! S’exclame l’inspecteur. Tout cela ne laisse rien présager de bon. »
C’était la loi des séries, même en congés
et à plus de mille kilomètres de chez lui, le sort semblait s’acharner contre
lui en venant jeter en travers de sa route un nouveau cadavre.
-
Pas
moyen de passer une semaine tranquille, pesta-t-il, alors qu’il redonnait de
l’élan à sa bicyclette.
Mine de rien, Marc-André tenta de
passer son chemin inaperçu mais ne fut pas surpris, lorsqu’il se fit interpeler par l’un
des policiers affairés à sécuriser la scène du crime.
- You, on the bike, please step down! L’expression sur le visage du flic fut
d’abord sévère puis elle vira à la curiosité et enfin à l’étonnement.
Sacrebleu! You are that famous cop from Québec! Puis avec un accent Haïtien à
couper au couteau. Je ne vous avais pas reconnu tout de suite à cause de
l’obscurité inspecteur. Qu’est ce qui vous amène par ici?
-
Des
vacances, prématurément interrompues hélas, j’en ai bien peur.
-
Attendez
une minute, vous voulez bien je dois appeler mon collègue, il ne va pas en
croire ses yeux.
Intrigué par ce soudain accès à la célébrité,
Marc-André patienta avec calme tandis que l’officier faisait signe vers la zone
balisée du sacro-saint ruban de plastique jaune frappé de l’éternel sceau
‘Police Line Do Not Cross’.
-
Jean-Luc!
Viens voir un peu par ici! Héla le géant en uniforme
Un autre policier, beaucoup plus
petit et plutôt rondouillard, se détacha du lot et vint à leur rencontre. À l'aune de son compère, il lui fallut quelques secondes à peine pour reconnaître leur
visiteur nocturne.
- Ça alors! Jesus, Marie, Joseph et tous les Saints!
Marc-André Tessier! Le limier de l’Outaouais! Le Sherlock de la Gatineau!
Pince-moi, Félicien, je rêve!
Le grand flic obtempéra sans sourciller.
-
Mais
tu es fou! S’emporta le petit officier. Qu’est-ce que tu fais là?
-
Tu
m’as demandé de te pincer et bien je te pince, répondit Félicien avec un
sourire malicieux.
-
Tu
es vraiment un crétin quand tu t’y mets. Veuillez l’excuser inspecteur, il ne
comprend pas l’art de la métaphore. Je me présente, Jean-Luc Laurier et cet escogriffe
est mon équipier, Félicien Lavigueur.
-
Enchanté,
opina Marc-André tandis que le géant enrobait sa main de ses longues phalanges
et la secouait avec entrain. Et qu’est-ce qu’il se passe par là-bas au juste?
S’enquit Marc-André en pointant du menton vers la Villa Litchfield.
-
Rien
de bien intéressant, un crime comme on en voit tous les jours à Brooklyn si
vous voulez mon avis, s’empressa de commenter Jean-Luc.
-
Attends
un peu, l’interrompit son collègue, tu ne peux pas dire ça! Ce n’est pas tous
les jours qu’on voit un macchabée dans un costume de super-héros.
-
Tiens
donc? Fit Marc-André visiblement intéressé.
-
Bah,
un excentrique de plus en moins, minimisa l’officier Laurier d’un revers de la
main. La dernière fois, on en a repêché un déguisé en pénis géant dans le canal
Gowanus. Je vous le dit, des cas comme ça, ça court les rues par ici.
-
Oui
mais ce que tu oublies de préciser c’est que c’était le lendemain d’Halloween,
intervint à nouveau Félicien. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison pour que ce
type se retrouve ici déguisé en Batman.
-
Le
costume est donc celui de l’homme chauve-souris apprécia l’inspecteur en fin
connaisseur comme si cela avait de l’importance.
-
Oui
celui là ou un autre dans le genre se contenta d’ajouter Jean-Luc Laurier.
Quelqu’un,
vraisemblablement leur supérieur, invita les deux flics à cesser leurs
bavardages et à venir prêter main forte à leurs collègues qui s’échinaient
autour de la victime.
-
Au
revoir inspecteur, le devoir nous appelle.
-
Je
comprends bien. Dites, ça ne vous ennuierait pas de me tenir au courant des
progrès de l’enquête. Je suis curieux de voir comment tout cela va évoluer.
Voici la carte de mon hôtel et mon numéro de chambre.
-
Avec
plaisir cher collègue, lui répondit l’officier Lavigueur en empochant le
précieux sésame. » Puis il s’en fut au trot vers le reste de sa troupe.
L’inspecteur resta un instant à
contempler le ballet policier se dérouler selon une chorégraphie plus ou moins
élaborée puis quand il en eut assez vu, il reprit sa chevauchée nocturne, les méninges
en ébullition, avec une seule question à l’esprit.
Qui avait
bien pu tuer Batman?
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