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Killer Bear, Chapitre I

L’imperméable n’était plus de saison, la chaleur étouffante transformait tout trajet à bicyclette en calvaire déliquescent, et pour couronner le tout, les touristes Ontariens migraient en masse vers la fraîcheur des lacs de la Gatineau. Non, décidément, Marc-André Tessier n’aimait pas l’été, il l’abhorrait, l’exécrait, le maudissait. Lui, le fils de l’Outaouais, chérissait la beauté flamboyante de l’automne multicolore, le calme feutré de l’hiver enneigé. Même la fraîcheur humide du printemps boueux, dans tout ce qu’elle avait de dégoulinant et d’éclaboussant lui semblait mille fois préférable à cette débauche de moiteur, à cette orgie de verdure grasse et d’insectes envahissants. Au volant de sa fidèle Suzuki, refuge climatisé et rempart contre les bestioles, il avait bifurqué sur le chemin du lac Brown, peu avant Wakefield et son célèbre moulin pour s’enfoncer dans le dédale d’arbres du Parc de la Gatineau. Tant qu’il le put, l’inspecteur resta aux commandes de son véhicule. Il s’y serait tenu jusqu’au pont de terre reliant le lac Brown au lac Carman, si le passage n’était subitement devenu si étroit. De mauvais gré, il couvrit à pieds la distance qui le séparait encore de la scène du crime, assailli de moustiques et de mouches noires dès son entrée dans la nature, suant comme un cochon après quelques pas à peine. Sur la berge nord l'attendait un spectacle cru dont le rouge carmin contrastait étrangement avec le vert émeraude de la forêt. Lorsqu'elle le vit arriver, la légiste, Marie-Michèle Poirot, se leva en souriant et essuya ses mains couvertes de sang sur l'herbe luxuriante.

" Tessier, c'est gentil de nous rendre visite. Malheureusement, notre hôte n'a pas trop la tête aux festivités, plaisanta-t-elle en désignant le cadavre décapité et lardé de plaies béantes.
- Le plaisir est pour moi, ma chère Poirot, les circonstances de nos rencontres sont toujours si réjouissantes, lui répondit le détective toujours prompt à la répartie. Que pouvez-vous me dire?
- Et bien, il semble y avoir une explication toute simple. La profondeur et la répartition des incisions sur le cou et le corps de la victime correspondent à une attaque d'ours noir. Les poils longs et soyeux retrouvés dans les mains du malheureux confirment cette hypothèse. Je vais envoyer le tout au labo pour en avoir le cœur net. Nous devrions recevoir les résultats dès demain.
- Un ours, dites-vous? Cela me parait assez étrange observa l'inspecteur en fin connaisseur le faune locale. Ces animaux sont d'ordinaire pacifiques, si je ne m'abuse.
- C'est vrai remarqua la légiste. J'ai cependant entendu dire que les mères lorsqu'elles sentent leurs oursons en danger peuvent se transformer en véritables furies. Je vous laisse donc imaginer le résultat de la confrontation entre un plantigrade enragé de deux cent kilos et un primate naïf pesant moins de la moitié.
- Pas besoin d'imaginer, se contenta d'observer Marc-André. Le résultat, je l'ai sous les yeux. Je me demande seulement où a bien pu passer la tête du pauvre bougre.
- C'est en effet bien étrange. Si j'étais à votre place, je consulterais un spécialiste. Ma compétence s'arrête aux humains morts, alors les ours voyez-vous, vivants en plus...
- Bien constata l'inspecteur peu ravi de cette perspective, je vais donc devoir éplucher les registres des laboratoires de biologie comportementale de la région. Vous m'envoyez les résultats des poils dès que possible, je compte sur vous docteur Poirot.
- Demain sans faute, conclut-elle en examinant de son index ganté le contour d'une plaie thoracique."

Le policier la salua d'un geste bref et s'enfuit en courant vers l'habitacle salvateur de la Suzuki, entrainant dans son sillage un nuage de moustiques et de moucherons. Vivement l'hiver, pensa-t-il en s'administrant quelques claques stratégiquement placées. En cette saison, pas de bestioles, pas d'ours en maraude, pas de fureur animale ou humaine déclenchée par une chaleur excessive. C'était dit, Marc-André Tessier détestait l'été.

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