Quatre heures du matin, Boulevard Labrosse.
La sonnerie du téléphone posé sur sa table de chevet tira l'Inspecteur Tessier d'un sommeil sans rêves. A ses côtés, sa conquête du moment, une jeune danseuse de flamenco répondant au doux nom de Carmen, s'étira brièvement, roula sur le côté puis se rendormit paisiblement. Il l'envia inconsciemment pour sa carrière faite de glamour et de pailettes qui s'arrêtait toujours à l'extinction des projecteurs. Personne n'appelait Carmen à des heures indues pour qu'elle vienne livrer une représentation impromptue alors que, pour lui, les coups de fils nocturnes étaient devenus monnaie courante.
Cette fois ci, c'était le Commissaire Gazou qui l'arrachait aux bras de morphée et à ceux de sa belle danseuse.
"Tessier?
- Ouais, c'est moi, rétorqua l'inspecteur, la voix empâtée de sommeil.
- J'ai besoin de vous dans dix minutes au coin des rue Eddy et Frontenac. Le restaurant Chez Barbe, vous connaissez?
- Ouais, je vois où c'est. J'arrive.
Il raccrocha au nez et à la barbe du commissaire mettant fin d'un index autoritaire au flot d'éructations traditionnelles l'enjoignant à se presser, le menaçant de représailles si, comme à son habitude, il mettait plus de temps que necéssaire en termes Gazouilliens pour faire son apparition à l'endroit indiqué.
Marc-André Tessier n'aimait pas conduire. A vrai dire, il avait une sainte horreur de tous types de véhicules motorisés et n'y recourait d'ordinaire qu'en cas d'extrême urgence. Aussi enfourcha-t-il son vélo avant de s'enfoncer dans la nuit humide de Gatineau, son casque vissé à la tête, la tête rentrée entre ses deux épaules et les revers de son long imperméable gris battant au vent.
Lorsqu'il arriva sur les lieux du crime - il devait au moins s'agir d'un homicide pour que le gros Gazou l'appelle ainsi au beau milieu de la nuit - la rue était déserte. Le restaurant brillait de tous ses feux et grouillait de policiers, contrastant étrangement avec le reste du voisinage endormi et éteint. Debout sur le seuil, au bas des trois marches du péron le commissaire Gazou machouillait l'un de ses éternels bâtons de réglisse. Cette habitude dégoutante, il l'avait prise quand il avait arrêté de fumer quelques années auparavant. L'inspecteur Tessier douta que les copeaux de bois ingurgités en quantité par son supérieur ventripotent ne soient meilleurs pour sa santé que les barreaux de chaise cubains auxquels ils avaient succédé. En toute honnêteté, se dit le détective, il se pouvait fort bien que le remède soit pire que le mal.
L'accueil fut moins que cordial.
" Vous ne pouvez pas arriver en voiture comme tout le monde Tessier. Il faut toujours que vous vous fassiez remarquer, n'est-ce pas?
- Je me suis dit que l'air frais des petites heures du matin m'aiderait à me réveiller.
- Ne faîtes pas le malin avec moi Tessier, l'avertit Gazou.
- Que me vaut donc l'honneur de ce début de journée prématuré?
- Je vous préviens, ce n'est pas beau à voir."
Gazou lui fit signe de le suivre et l'inspecteur emboîta le pas au commissaire pour pénétrer sur la scène du crime. Au beau milieu d'une mare de sang coagulé gisaient les corps démembrés de deux hommes, l'un mince comme un fil, l'autre plutôt bien portant. Quiconque était l'auteur de ce carnage abominable s'était amusé à interchanger les morceaux des deux victimes en un patchwork macabre. En dehors du fait qu'ils aient été ainsi réarrangés de manière ridicule, les deux hommes semblaient avoir subi de multiples blessures en différents endroits. Sur chaque corps Marc-André dénombra au moins dix traces de brûlures électriques, chimiques ou thermiques, plusieurs impacts de balles, des coupures et plaies faites à l'arme blanche et autant d'ecchymoses. Difficile de dire dans ce capharnaüm de souffrance quel avait été le coup fatal.
"Eh bah, je souhaite bonne chance au légiste pour déterminer la cause du décès, remarqua-t-il à voix haute.
- Comment peut-on se livrer à un pareil massacre, renchérit Gazou, le bâton de réglisse toujours coincé au coin des lèvres. Celui qui a fait ça est un véritable animal. Qu'en pensez-vous Tessier?
La mécanique cérébrale du fin limier n'avait pas attendu la question du commissaire pour s'emballer. Déjà, les rouages bien huilés avaient livré leurs premières déductions et un ébauche de scénario avait commencer à germer sur le terreau fertile de son imagination.
- J'en pense qu'il est l'heure du petit déjeuner, répondit l'inspecteur tandis que son estomac émettait un grondement approbateur.
- Que vous puissiez-penser à bouffer dans un moment pareil, ça me scie.
- Faîtes attention à ne pas perdre un morceau comme l'un de ces deux là, rajouta Tessier sur le ton de la plaisanterie, avant de sortir par la porte enrubanée de cordons de police.
Dehors, le jour naissait et un meurtrier en liberté courait les rues.
La sonnerie du téléphone posé sur sa table de chevet tira l'Inspecteur Tessier d'un sommeil sans rêves. A ses côtés, sa conquête du moment, une jeune danseuse de flamenco répondant au doux nom de Carmen, s'étira brièvement, roula sur le côté puis se rendormit paisiblement. Il l'envia inconsciemment pour sa carrière faite de glamour et de pailettes qui s'arrêtait toujours à l'extinction des projecteurs. Personne n'appelait Carmen à des heures indues pour qu'elle vienne livrer une représentation impromptue alors que, pour lui, les coups de fils nocturnes étaient devenus monnaie courante.
Cette fois ci, c'était le Commissaire Gazou qui l'arrachait aux bras de morphée et à ceux de sa belle danseuse.
"Tessier?
- Ouais, c'est moi, rétorqua l'inspecteur, la voix empâtée de sommeil.
- J'ai besoin de vous dans dix minutes au coin des rue Eddy et Frontenac. Le restaurant Chez Barbe, vous connaissez?
- Ouais, je vois où c'est. J'arrive.
Il raccrocha au nez et à la barbe du commissaire mettant fin d'un index autoritaire au flot d'éructations traditionnelles l'enjoignant à se presser, le menaçant de représailles si, comme à son habitude, il mettait plus de temps que necéssaire en termes Gazouilliens pour faire son apparition à l'endroit indiqué.
Marc-André Tessier n'aimait pas conduire. A vrai dire, il avait une sainte horreur de tous types de véhicules motorisés et n'y recourait d'ordinaire qu'en cas d'extrême urgence. Aussi enfourcha-t-il son vélo avant de s'enfoncer dans la nuit humide de Gatineau, son casque vissé à la tête, la tête rentrée entre ses deux épaules et les revers de son long imperméable gris battant au vent.
Lorsqu'il arriva sur les lieux du crime - il devait au moins s'agir d'un homicide pour que le gros Gazou l'appelle ainsi au beau milieu de la nuit - la rue était déserte. Le restaurant brillait de tous ses feux et grouillait de policiers, contrastant étrangement avec le reste du voisinage endormi et éteint. Debout sur le seuil, au bas des trois marches du péron le commissaire Gazou machouillait l'un de ses éternels bâtons de réglisse. Cette habitude dégoutante, il l'avait prise quand il avait arrêté de fumer quelques années auparavant. L'inspecteur Tessier douta que les copeaux de bois ingurgités en quantité par son supérieur ventripotent ne soient meilleurs pour sa santé que les barreaux de chaise cubains auxquels ils avaient succédé. En toute honnêteté, se dit le détective, il se pouvait fort bien que le remède soit pire que le mal.
L'accueil fut moins que cordial.
" Vous ne pouvez pas arriver en voiture comme tout le monde Tessier. Il faut toujours que vous vous fassiez remarquer, n'est-ce pas?
- Je me suis dit que l'air frais des petites heures du matin m'aiderait à me réveiller.
- Ne faîtes pas le malin avec moi Tessier, l'avertit Gazou.
- Que me vaut donc l'honneur de ce début de journée prématuré?
- Je vous préviens, ce n'est pas beau à voir."
Gazou lui fit signe de le suivre et l'inspecteur emboîta le pas au commissaire pour pénétrer sur la scène du crime. Au beau milieu d'une mare de sang coagulé gisaient les corps démembrés de deux hommes, l'un mince comme un fil, l'autre plutôt bien portant. Quiconque était l'auteur de ce carnage abominable s'était amusé à interchanger les morceaux des deux victimes en un patchwork macabre. En dehors du fait qu'ils aient été ainsi réarrangés de manière ridicule, les deux hommes semblaient avoir subi de multiples blessures en différents endroits. Sur chaque corps Marc-André dénombra au moins dix traces de brûlures électriques, chimiques ou thermiques, plusieurs impacts de balles, des coupures et plaies faites à l'arme blanche et autant d'ecchymoses. Difficile de dire dans ce capharnaüm de souffrance quel avait été le coup fatal.
"Eh bah, je souhaite bonne chance au légiste pour déterminer la cause du décès, remarqua-t-il à voix haute.
- Comment peut-on se livrer à un pareil massacre, renchérit Gazou, le bâton de réglisse toujours coincé au coin des lèvres. Celui qui a fait ça est un véritable animal. Qu'en pensez-vous Tessier?
La mécanique cérébrale du fin limier n'avait pas attendu la question du commissaire pour s'emballer. Déjà, les rouages bien huilés avaient livré leurs premières déductions et un ébauche de scénario avait commencer à germer sur le terreau fertile de son imagination.
- J'en pense qu'il est l'heure du petit déjeuner, répondit l'inspecteur tandis que son estomac émettait un grondement approbateur.
- Que vous puissiez-penser à bouffer dans un moment pareil, ça me scie.
- Faîtes attention à ne pas perdre un morceau comme l'un de ces deux là, rajouta Tessier sur le ton de la plaisanterie, avant de sortir par la porte enrubanée de cordons de police.
Dehors, le jour naissait et un meurtrier en liberté courait les rues.
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