Debout sur le pont de la vedette, l’homme s’évertuait à orienter l’antenne reliée au vieux poste de télévision. En dépit de ses efforts répétés, l’écran s’obstinait à se parer de zébrures et de neige entrelacées. L’image nette aurait été un luxe et en fait, Charles se serait largement contenté de convertir le grésillement incompréhensible que débitait le haut-parleur en un discours clair et intelligible. Alors qu’il était sur le point de s’énerver et de jeter par dessus bord l’appareil d’un autre âge, le professeur Darwin se figea. Un éclair de satisfaction passa sur le visage bronzé du quinquagénaire dont les traits s’adoucirent automatiquement. Fin prêt, il prit place sur la chaise pliante qu’il avait disposée en face de l’écran et attendit avec une pointe d’anxiété le générique annonçant le début du bulletin d’informations. Stoïque, il assista impuissant au défilé de publicités plus lénifiantes les unes que les autres. D’ordinaire, il se serait emporté contre cette débauche de faux arguments scientifiques dont le seul but était de pousser le crédule citoyen capitaliste, vache à lait, à une consommation fébrile. « Aux chiottes le Bifidus et ses comparses, les coenzymes et autres complexes hormonaux machin-truc qui ne valaient pas mieux que des promesses électorales !» Quant à la phobie des bactéries elle le faisait rire sous cape, car s’il était un réel maître de la planète, ce n’était pas l’homme prétentieux et parasite mais plutôt l’une de ces espèces de petits êtres, qui une heure après que vous ayez passé le produit miracle et assassiné presque toute leur ascendance avaient déjà entrepris de recoloniser votre carrelage.
Sitôt que Charles eut découvert, ô miracle, que l’on devait maintenant, pour laver le sol, utiliser de petites lingettes dont la durée de vie n’égalait pas le millionième de celle de la bonne vieille serpillière et dont la seule existence raccourcissait considérablement celle de la forêt amazonienne, et seulement après cette formidable prise de conscience, arriva le générique annonçant le condensé d’informations. Enfin. Tous sens en alertes, ouie et vue focalisées vers la petite boîte de métal, le docteur Darwin fixa son attention sur ce qu’énonçait à présent le commentateur.
« Les prises observées au cours des dernières pêches ne cessent de préoccuper les professionnels et les experts des populations marines. En effet, en moins d’un mois, les chiffres ont diminué de moitié et l’on ne s’explique toujours pas cette dégringolade.
Dana Graham, notre envoyée spéciale sur de la côte est des Etats-Unis est donc partie à la rencontre du Docteur Charles Darwin, homonyme du célèbre auteur de la théorie de l’évolution et non moins éminent océanographe, spécialiste des populations de pêches.»
Vint alors une petite introduction au cours de laquelle la jolie journaliste, le dos tourné à la mer, résumait la situation de manière un peu plus précise. Puis le champ de la caméra s’élargit et son visage jovial apparut. L’effet fut instantané. La jubilation qu’on pouvait lire à l’écran sur ses traits se réfléchit aussitôt sur le professeur si bien qu’il devint, en un court laps de temps, la parfaite reproduction de l’image télévisée, aussi fidèle qu’un miroir.
Il s’écouta répéter ce qu’il avait dit quelques heures auparavant à Dana Graham et opina à chacun de ses arguments.
« Les derniers relevés nous indiquent que, de façon tout à fait paradoxale, le nombre total de poissons dans cette zone n’a pas diminué. Au contraire, certaines espèces semblent connaître, en ce moment même, une expansion démographique sans précédent qui, si elle se poursuit à ce rythme, pourrait repeupler cette zone pillée de l’océan. J’émets cependant une condition à cette nouvelle fort réjouissante pour le zoologiste que je suis : que les industriels ne parviennent pas à réparer leurs filets, qui sont, selon toute évidence, troués. »
Il s’esclaffa quand il entendit à nouveau ce petit mot assassin qu’il avait prononcé quelques heures auparavant et qui en disait long sur l’opinion qu’il se faisait de la pêche industrielle et de ses acteurs, dirigeants comme exécutants. Surexcité par sa performance télévisuelle, il parcourut en tous sens le pont de sa petite embarcation, effectua une danse rituelle synonyme de victoire et revint éteindre le poste de télévision qui en quelques instants avait perdu tout son intérêt.
Les plus grands scientifiques sont aussi de grands enfants, de ceux qui ont conservé suffisamment d’imagination et de créativité pour pouvoir s’affranchir des modèles trop rigoristes qui enferment leurs collègues systématiciens dans les limites de découvertes classiques. Charles Darwin, doté d’une capacité de conceptualisation hors du commun, était, lui même, l’un de ces grands enfants. Et l’état d’excitation dans lequel l’avait plongé sa prestation médiatique et qui aurait fait s’interroger la plupart de ses confrères, trop sérieux, quant à son état de santé mentale, en était la preuve irréfutable.
Sitôt que Charles eut découvert, ô miracle, que l’on devait maintenant, pour laver le sol, utiliser de petites lingettes dont la durée de vie n’égalait pas le millionième de celle de la bonne vieille serpillière et dont la seule existence raccourcissait considérablement celle de la forêt amazonienne, et seulement après cette formidable prise de conscience, arriva le générique annonçant le condensé d’informations. Enfin. Tous sens en alertes, ouie et vue focalisées vers la petite boîte de métal, le docteur Darwin fixa son attention sur ce qu’énonçait à présent le commentateur.
« Les prises observées au cours des dernières pêches ne cessent de préoccuper les professionnels et les experts des populations marines. En effet, en moins d’un mois, les chiffres ont diminué de moitié et l’on ne s’explique toujours pas cette dégringolade.
Dana Graham, notre envoyée spéciale sur de la côte est des Etats-Unis est donc partie à la rencontre du Docteur Charles Darwin, homonyme du célèbre auteur de la théorie de l’évolution et non moins éminent océanographe, spécialiste des populations de pêches.»
Vint alors une petite introduction au cours de laquelle la jolie journaliste, le dos tourné à la mer, résumait la situation de manière un peu plus précise. Puis le champ de la caméra s’élargit et son visage jovial apparut. L’effet fut instantané. La jubilation qu’on pouvait lire à l’écran sur ses traits se réfléchit aussitôt sur le professeur si bien qu’il devint, en un court laps de temps, la parfaite reproduction de l’image télévisée, aussi fidèle qu’un miroir.
Il s’écouta répéter ce qu’il avait dit quelques heures auparavant à Dana Graham et opina à chacun de ses arguments.
« Les derniers relevés nous indiquent que, de façon tout à fait paradoxale, le nombre total de poissons dans cette zone n’a pas diminué. Au contraire, certaines espèces semblent connaître, en ce moment même, une expansion démographique sans précédent qui, si elle se poursuit à ce rythme, pourrait repeupler cette zone pillée de l’océan. J’émets cependant une condition à cette nouvelle fort réjouissante pour le zoologiste que je suis : que les industriels ne parviennent pas à réparer leurs filets, qui sont, selon toute évidence, troués. »
Il s’esclaffa quand il entendit à nouveau ce petit mot assassin qu’il avait prononcé quelques heures auparavant et qui en disait long sur l’opinion qu’il se faisait de la pêche industrielle et de ses acteurs, dirigeants comme exécutants. Surexcité par sa performance télévisuelle, il parcourut en tous sens le pont de sa petite embarcation, effectua une danse rituelle synonyme de victoire et revint éteindre le poste de télévision qui en quelques instants avait perdu tout son intérêt.
Les plus grands scientifiques sont aussi de grands enfants, de ceux qui ont conservé suffisamment d’imagination et de créativité pour pouvoir s’affranchir des modèles trop rigoristes qui enferment leurs collègues systématiciens dans les limites de découvertes classiques. Charles Darwin, doté d’une capacité de conceptualisation hors du commun, était, lui même, l’un de ces grands enfants. Et l’état d’excitation dans lequel l’avait plongé sa prestation médiatique et qui aurait fait s’interroger la plupart de ses confrères, trop sérieux, quant à son état de santé mentale, en était la preuve irréfutable.
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