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Ce que vaut la vie

Prologue

Mario s’approcha l’air inquiet du vétérinaire qui examinait Belladona, la laitière dont il était si fier. Fier au point qu’il avait voulu sauvegarder ses caractéristiques en la faisant enfanter dès que la situation s’y serait prêtée ce qui s’était produit il y avait à peine deux mois. Il avait également choisi le père, un taureau vigoureux qui possédait un patrimoine riche lui assurant une engeance robuste. Mais le sort semblait en avoir décidé autrement, il était bien trop tôt et pourtant, Belladona avait entamé le travail de vêlage. Le docteur n’avait laissé aucun faux espoir à Mario qui était d’ailleurs tout à fait en mesure d’évaluer la situation par lui-même. Pour le jeune veau, aucune chance de survie. En revanche, la mère pouvait très bien se sortir de cette couche prématurée et le vétérinaire était là pour faire en sorte que le fleuron du cheptel de Mario soit en mesure d’assurer une nouvelle maternité après ce premier échec. L’éleveur tourna un regard plein d’amour vers l’animal et lut la souffrance dans ses yeux. Belladona comprenait parfaitement ce qui était en train de lui arriver et elle partageait sa peine avec cet être humain qui l’avait choyée depuis qu’elle était venue au monde dans les plaines de la pampa argentine. Dans un dernier effort, Belladonna expulsa le fœtus inanimé du jeune veau qui aurait pu être son petit si les circonstances avaient été différentes. Elle savait cependant quelque chose que son propriétaire ignorait, de façon instinctive comme elle savait la plupart des choses. Malgré tous les efforts déployés par le vétérinaire, le splendide animal n’aurait jamais d’autre occasion de donner la vie, de faire ce cadeau sans prix dont trop d’hommes ont tendance à ignorer la valeur qu’il s’agisse de celle d’un animal, d’une espèce entière ou même d’un de leurs congénères. Emilio, le fils aîné de la famille fit irruption dans l’étable. Rosetta la seconde vache gestante du troupeau montrait elle aussi des signes inquiétants de vêlage précoce. Mario se demanda ce qu’il avait bien pu faire pour que le sort s’acharne ainsi contre lui. Il pria le ciel avec ferveur de le protéger contre le malheur qui semblait soudain s’abattre sur sa ferme. Il ne se doutait cependant pas que son geste était reproduit à l’identique et au même moment par tous les éleveurs de la région et au-delà. Epuisée, Belladonna s’endormit sur la paille en regardant son maître implorer son dieu agenouillé sur le sol. Elle rêva qu’elle était mère.

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Communiqué de presse Agence Reuters :

Une épidémie de vêlage prématuré semble s’être déclarée simultanément en trois endroits du globe. Les régions touchées sont respectivement la banlieue de Buenos Aires, la campagne anglaise et l’état du Texas. L’origine de cette « fièvre accoucheuse » n’a encore pu être déterminée. Les autorités sanitaires ont par mesure de précaution mis les zones concernées en quarantaine. Les experts semblent optimistes quant à la conscription du fléau et excluent toute transmissibilité aux autres espèces y compris à l’homme

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Journal de bord du Dr. Tissouard, interne obstétricien de la maternité de Port Royal, Paris XIVème .

Chaque jour nous apporte de plus en plus de désillusions. Ce matin, nous n’avons pu sauver qu’un prématuré sur douze cas. Les chances de survie des nouveau-nés décroissent fortement depuis le début de l’épidémie et je crains qu’à terme, nous ne soyons plus à même de sauver ne serait ce qu’un seul bébé. Les statistiques que nous collectons affinent la survenue du moment critique de résorption vers les quatre mois de gestation. Les perspectives d’avenir sont désastreuses et si l’on considère qu’un pool de 1000 femmes fertiles suffirait à assurer la survie de l’espèce humaine, il faudra tenir compte de la période de fertilité qui s’arrête en moyenne à 47 ans chez la femme. Ce qui signifie que si d’ici à 35 ans, nous n’avons pas trouvé de solution à ce problème, nous, êtres humains, pourrons dire adieu à la vie. Nous ignorons tout de ce mal et j’espère que nous saurons nous entendre afin de lutter contre ce fléau qui peut nous mener à notre perte.

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Zagreb, Croatie, le 20 octobre 2004.

C’est un miracle auquel nous venons d’assister. La petite Kristina prématurée de presque trois mois est la dernière rescapée de l’épidémie mondiale de résorption. Les médecins très pessimistes il y a deux jours quant au sort de la petite fille s’attachent maintenant à assurer son confort et sa survie. Une équipe de spécialistes va tenter de reconstituer les facteurs environnementaux qui auraient pu favoriser la survenue de cet heureux événement. Kristina pourrait être la dernière petite humaine que notre terre ait vu naître.

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