Ce récit aux relents de terreur vous parvient d'un endroit reculé, perdu dans les méandres sinueux qui peuplent les confins d'une âme torturée, la mienne pour être précis. Ici, l'esprit dont je suis doté et que mon entourage taxe souvent de rationalisme, ne m'est d'aucune utilité. Sa quête perpétuelle de sens, sa soif de vérification par l'expérience et son incrédulité maladive se heurtent à des remparts infranchissables d'aberration. Ici, la folie rôde sous les frondaisons des neurones, prête à bondir telle un fauve affamé.
Malgré ma réputation d'homme de science intègre et honnête, ceux qui m'ont enfermé ici n'ont pas daigné m'écouter. Ils m'ont traité de fou, comme si le simple fait de me prêter une oreille attentive avait signé leur connivence, donné un complice assentiment à ma névrose. Je sais cependant que je n'ai pas été victime d'hallucinations, que tout ce que j'ai vécu, vu et entendu ce matin là dans le bus 182 de neuf heures s'est réellement passé. Quelque part, ils le savent aussi, j'en suis convaincu. Trop d'éléments troublants survenus ce matin là échappent à toute explication rationnelle, trop de traces visibles persistent qui viennent étayer ma version des faits. Parmi celles ci, les cicatrices qui sillonnent mon corps meurtri et dont beaucoup laisseront une trace indélébile gravée sur mon épiderme, témoins irrévocables de mon histoire. Ils ont bien essayé de me briser, de me faire admettre que je m'étais infligé malgré moi ces mutilations. Mais je vous l'ai dit, je sais que je ne suis pas fou.
Voici donc dans les menus détails ce qui m'est arrivé en ce funeste matin du 28 février 2007.
Comme à l'accoutumée j'attendais le dernier bus de la matinée au départ de l'arrêt Lebreton et à destination de Kanata. J'avais pris l'habitude de le voir arriver de loin alors qu'il sortait du transitway dans la direction opposée et s'engageait vers la droite sur une boucle lui permettant de rejoindre l'endroit d'où je l'observais. À neuf heures moins cinq, le véhicule aux couleurs de la compagnie locale s'arrêta le long du trottoir. Les habitués de la ligne que je croisais tous les matins montèrent en même temps que moi dans le ventre de ferraille peint de rouge et de blanc. Curieusement, le chauffeur n'était pas celui que nous avions l'habitude de voir. Après quelques instants de perplexité, je me dis simplement que notre conducteur habituel avait du se faire porter pale, énième victime de l'épidémie de gastroentérite qui sévissait à ce moment là. J'aurais cependant dû faire preuve de plus de circonspection, car l'identité usurpée de notre Charron était directement liée à la cascade d'événements dont j'allais être témoin bien malgré moi.
Je m'asseyais donc vers le milieu du bus comme j'en avais l'habitude alors que le véhicule s'ébranlait poussivement dans un concert de grincements métalliques. Au dehors, l'hiver polaire régnait sans partage et enserrait de sa poigne gelée les terrasses Lebreton. Les vitres du bus, constellées de cristaux de glace bordés de buée, encadraient le paysage austère que la ville gelée offrait à mes yeux encore lourds de sommeil. À l'image des matins précédents, le trajet débuta sans encombres. On aurait tout aussi bien pu être la veille ou l'avant veille tant le film de ma vie se répétait inlassablement à ce moment précis de la journée, véritable litanie existentielle commençant chacune de mes matinées. La seule différence notable demeurait assise derrière l'imposant volant de notre moyen de transport collectif et semblait, à ce moment là, sous son enrobage de tissus, faite de chair et d'os humains. Nous suivîmes donc la portion citadine de la voie express réservée aux autobus, nous arrêtant régulièrement pour laisser descendre ou monter le flot discontinu des travailleurs matinaux d'Ottawa. Arrivés à l'arrêt Dominion, il ne restait plus dans la carlingue que les passagers qui, comme moi, se rendaient à l'ouest de la ville avec, pour la plupart, Kanata comme destination finale. C'est alors que les premiers changements se manifestèrent, d'abord imperceptibles ou du moins insuffisants pour laisser présager de l'ouragan d'irrationalité dans lequel s'achèverait notre trajet quotidien.
Sur l'horizon gelé surgirent les barres d'immeuble de Lincoln Fields, leurs murs de briques efflanqués couronnés d'un inhabituel panache de fumée jaunâtre. La station d'autobus du quartier, véritable plaque tournante du transport en commun ottavien sise à la croisée des lignes nord-sud et est-ouest, semblait ce matin prise d'une frénésie hors du commun. Une véritable armée de camions bennes avait investi les friches encastrées entre la rue Carling et le transitway, y déversant un curieux chargement en tas inégaux. À première vue, le flot de poudre crayeuse éparpillé sur le gazon enneigé aurait pu être de la chaux vive. Mais comme je l'apprendrais par la suite à mes dépens, cette impression n'était qu'une vaste tromperie rationaliste échafaudée par l'esprit scientifique hébergé dans ma boîte crânienne.
Malgré ma réputation d'homme de science intègre et honnête, ceux qui m'ont enfermé ici n'ont pas daigné m'écouter. Ils m'ont traité de fou, comme si le simple fait de me prêter une oreille attentive avait signé leur connivence, donné un complice assentiment à ma névrose. Je sais cependant que je n'ai pas été victime d'hallucinations, que tout ce que j'ai vécu, vu et entendu ce matin là dans le bus 182 de neuf heures s'est réellement passé. Quelque part, ils le savent aussi, j'en suis convaincu. Trop d'éléments troublants survenus ce matin là échappent à toute explication rationnelle, trop de traces visibles persistent qui viennent étayer ma version des faits. Parmi celles ci, les cicatrices qui sillonnent mon corps meurtri et dont beaucoup laisseront une trace indélébile gravée sur mon épiderme, témoins irrévocables de mon histoire. Ils ont bien essayé de me briser, de me faire admettre que je m'étais infligé malgré moi ces mutilations. Mais je vous l'ai dit, je sais que je ne suis pas fou.
Voici donc dans les menus détails ce qui m'est arrivé en ce funeste matin du 28 février 2007.
Comme à l'accoutumée j'attendais le dernier bus de la matinée au départ de l'arrêt Lebreton et à destination de Kanata. J'avais pris l'habitude de le voir arriver de loin alors qu'il sortait du transitway dans la direction opposée et s'engageait vers la droite sur une boucle lui permettant de rejoindre l'endroit d'où je l'observais. À neuf heures moins cinq, le véhicule aux couleurs de la compagnie locale s'arrêta le long du trottoir. Les habitués de la ligne que je croisais tous les matins montèrent en même temps que moi dans le ventre de ferraille peint de rouge et de blanc. Curieusement, le chauffeur n'était pas celui que nous avions l'habitude de voir. Après quelques instants de perplexité, je me dis simplement que notre conducteur habituel avait du se faire porter pale, énième victime de l'épidémie de gastroentérite qui sévissait à ce moment là. J'aurais cependant dû faire preuve de plus de circonspection, car l'identité usurpée de notre Charron était directement liée à la cascade d'événements dont j'allais être témoin bien malgré moi.
Je m'asseyais donc vers le milieu du bus comme j'en avais l'habitude alors que le véhicule s'ébranlait poussivement dans un concert de grincements métalliques. Au dehors, l'hiver polaire régnait sans partage et enserrait de sa poigne gelée les terrasses Lebreton. Les vitres du bus, constellées de cristaux de glace bordés de buée, encadraient le paysage austère que la ville gelée offrait à mes yeux encore lourds de sommeil. À l'image des matins précédents, le trajet débuta sans encombres. On aurait tout aussi bien pu être la veille ou l'avant veille tant le film de ma vie se répétait inlassablement à ce moment précis de la journée, véritable litanie existentielle commençant chacune de mes matinées. La seule différence notable demeurait assise derrière l'imposant volant de notre moyen de transport collectif et semblait, à ce moment là, sous son enrobage de tissus, faite de chair et d'os humains. Nous suivîmes donc la portion citadine de la voie express réservée aux autobus, nous arrêtant régulièrement pour laisser descendre ou monter le flot discontinu des travailleurs matinaux d'Ottawa. Arrivés à l'arrêt Dominion, il ne restait plus dans la carlingue que les passagers qui, comme moi, se rendaient à l'ouest de la ville avec, pour la plupart, Kanata comme destination finale. C'est alors que les premiers changements se manifestèrent, d'abord imperceptibles ou du moins insuffisants pour laisser présager de l'ouragan d'irrationalité dans lequel s'achèverait notre trajet quotidien.
Sur l'horizon gelé surgirent les barres d'immeuble de Lincoln Fields, leurs murs de briques efflanqués couronnés d'un inhabituel panache de fumée jaunâtre. La station d'autobus du quartier, véritable plaque tournante du transport en commun ottavien sise à la croisée des lignes nord-sud et est-ouest, semblait ce matin prise d'une frénésie hors du commun. Une véritable armée de camions bennes avait investi les friches encastrées entre la rue Carling et le transitway, y déversant un curieux chargement en tas inégaux. À première vue, le flot de poudre crayeuse éparpillé sur le gazon enneigé aurait pu être de la chaux vive. Mais comme je l'apprendrais par la suite à mes dépens, cette impression n'était qu'une vaste tromperie rationaliste échafaudée par l'esprit scientifique hébergé dans ma boîte crânienne.
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